Je viens de retrouver mon premier GoreTex 😍 et ma première polaire😍 qui datent de novembre 1987 et que j’ai achetés à grands frais.

A l’époque c’était très cher, très rare et très méconnu, ces types de matières, on commençait à peine à en parler sur les magazines spécialisés. Un mois de mon salaire, en 1987 rien que pour ces deux pièces, trouvées à Pau dans une petite boutique pleine à craquer de la rue Tran où j’adorais aller fureter !

Il faut dire que j’avais fait le Mont Blanc l’année précédente, en juillet 1986 avec un équipement de merde et je m’étais gelée presque tout le long de la montée dès la sortie du duvet, à 3h du matin et en particulier après le refuge Vallot, sur l’arête finale où le vent nous bousculait un peu. Je ne parlerai pas du sommet atteint vers 7h du mat’, d’où j’ai regardé le paysage à mes pieds d’un œil torve en grelottant. Mon seul rêve était à cet instant de redescendre me mettre à l’abri du vent ou que le soleil matinal me réchauffe enfin :-D, mais à 4810m, c’était utopique.

Tiens, je vous raconte un peu en détail « mon » Mont Blanc, fait avec quatre copains, par défi, juste pour voir si nous en étions capables, vu que nous courions déjà les Pyrénées en tous sens depuis quelques années et que nous commencions à nous attaquer aux « Grands » du massif.

Moi, depuis mes presque 12 ans, en 1972, je passais presque toutes mes vacances en montagne et mes dimanches aussi, été comme hiver, donc ça faisait déjà presque 14 ans que je bourlinguais sur les sentiers 😃

Je me sentais invincible et surtout, je vénérais la montagne. J’étais convaincue qu’elle me rendait mon amour au centuple et que dans ses bras, j’étais à l’abri de tout. Alors quand l’un d’entre nous a lancé l’idée d’aller au sommet du Mont Blanc, j’ai adhéré au projet, comme l’arapède à son rocher 🙂

J’y pensais, au toit de l’Europe, depuis qu’une éducatrice du foyer où j’étais placée nous en avait parlé comme d’un endroit inaccessible, la légion d’honneur, le Bouclier de Brenus du montagnard, qui validait l’expérience du randonneur lambda 😀

Nous étions à la fin de l’été 1985 lorsque cette idée fut lancée, c’était lors d’une randonnée du club de ski/montagne que nous avions créé en 1980. L’hiver s’est vécu dès lors, dans l’impatience du jour J, avec une sortie course à pied tous les matins à 6h30 et des week-ends, soit à randonner et/ou skier en montagne, soit à galoper dans les bois non loin de chez moi.

Nous voilà partis début juillet 1986, après l’achat de crampons, baudriers, mousquetons, quelques huits, une corde, et tout le matos, que Eric, notre jeune cadre dynamique qui montait souvent à la capitale 😄, nous avait ramenés du Vieux Campeur de Paris. En 1986, il n’y avait pas de boutiques spécialisées partout, comme aujourd’hui et trouver du matériel était une gageure.

Je sais, j’ai l’air de parler du moyen-âge, mais il en était ainsi, le matériel d’alpinisme était une denrée rare, surtout dans les Pyrénées, parents pauvres des Alpes et que dire chez nous, en pleine campagne, à 200km du premier sommet. Nous devions alors nous rendre à Bordeaux ou à Toulouse ou encore à Pau et même là, nous ne trouvions pas tout et ça a duré jusqu’à la seconde moitié des années 80 qui a vu l’avènement de l’escalade et des sports de montagne. Merci aux Jean-Marc Boivin, Christophe Profit, Catherine Destivelle, Patrick Edlinger et bien d’autres, dont je suivais les exploits et dont j’ai oublié les noms, d’avoir popularisé ces activités de montagne-escalade-alpinisme et permis aux collectivités de s’intéresser à cette vague qui a tout balayé dans les années 90. Tout ça a initié beaucoup de changements et d’aménagements importants dans nos Pyrénées.

Jusque là, les hauts sommets pyrénéens (et alpins) étaient assez peu fréquentés, surtout en hiver et nous ne rencontrions quasiment personne au-delà des refuges. D’ailleurs, certains n’existaient pas encore, surtout en Ariège dont la plupart furent construits vers 1986-87 et ceux en place étaient plus que vétustes, s’apparentant plus à des cabanes aménagées qu’à des hostelleries comme on trouvait déjà dans les Alpes à l’époque. Aujourd’hui les dortoirs sont petits et chauffés et les douches chaudes, finis les bas-flancs sur deux niveaux de 30 personnes par étage, les lavabos avec un filet d’eau froide.

La fréquentation a bondi et maintenant il faut attendre son tour pour passer le Pas de Mahomet, des petits panneaux et balisages évitent les erreurs d’orientation et le matériel est allégé de moitié. Je ne sais pas si c’est une évolution dans le bon sens, mais ça enlève pas mal à l’aventure, ce qui m’aurait chagrinée à l’époque, mais que j’apprécie en vieillissant 😀

Je babille, je babille, mais bon, il était important de planter le décor des années 80.

J’en reviens au Mont Blanc

Nous voilà partis pour deux semaines à Chamonix, Eric le jeune cadre dynamique, Dominique le prof de sciences, Bernard le plombier, Emmanuel le parisien et moi Dominique. Patrice le banquier n’a pas pu poser ses vacances début juillet à son grand désespoir, mais il est monté au sommet dans nos cœurs.

A Chamonix, nous passons nos journées à grimper à droite à gauche vers des sommets mythiques dont mes lectures avaient gravé le nom dans ma mémoire, qui nous servaient juste d’entrainement, alors qu’au final, ils se sont avérés plus « montagnards » que le Mont Blanc. Pourtant, le fleuron, celui pour lequel nous étions là, THE Mont Blanc, nous n’avons pu y grimper qu’au bout de 5 jours d’attente inquiète, à cause du temps maussade.

Le temps a fait des siennes et nous n’avons pas encore pu aller au niveau des plus hauts glaciers qui nous intéressent le plus,  nous occupons le temps en grimpant des sommets du secteur, l’œil toujours rivé vers notre objectif. Aiguille du Midi-Aiguille du Plan, Refuge du Couvercle, remontée de la Mer de Glace jusqu’au pied des merveilleuses Jorasses et j’en passe, reçoivent notre visite distraite.

Les deux premiers jours se passent sur le glacier des Bossons, en entrainement à la cordée avec crampons, à l’environnement glaciaire, au rattrapage au piolet en cas de chute. Nous absorbons avec dévotion, les conseils prodigués par les guides à leurs clients dont nous écoutons religieusement le vocabulaire alpin.

Enfin, quand je dis « entrainement », je ne sais pas si ça peut s’appeler comme ça, le seul à avoir quelques notions est Emmanuel, qui a échoué à cette ascension deux ans auparavant (demi-tour au Vallot) et moi qui ai avalé trois ou quatre livres techniques sur le sujet et les débite avec assurance, comme si j’avais déjà mis en pratique mes théories. Comme instructeur, on fait mieux.

Mais j’ai foi en ma bonne étoile, je n’envisage pas l’échec et encore moins l’accident. Et puis je les ai tellement rêvés ces gestes, depuis mes 12 ans, que c’est comme si je les avais déjà fait.

Nous hésitons entre passer par le Tacul qui nous tente plus, ou par l’Aiguille du Goûter, puis nous nous décidons pour le Goûter, Emmanuel a déjà expérimenté il connait la voie jusqu’au Vallot et le refuge des Cosmiques est en cendres, du coup ça oblige à partir de beaucoup plus bas.

Un jour, enfin, c’est parti pour le sommet ! Grand beau temps pour deux jours annoncé, alors nous réservons le refuge du Goûter dès l’annonce de cette fenêtre inespérée. In extremis, pour Eric et Emmanuel  qui n’ont qu’une semaine de disponible et se morfondent en se voyant rentrer à la maison sans même avoir pu tenter le sommet.

Dominique, Bernard et moi avons joué de prudence en prévoyant plus de deux semaines à Chamonix, mais nous nous voyons mal tenter le sommet à nous trois alors c’est décidé, si nous nous retrouvons tous les trois, nous prendrons un guide. Nous passons au bureau des Guides de Chamonix voir les tarifs.

Nous y voilà enfin, sans guide et tous les cinq.

En résumé : -15°, fort vent, mauvais anorak de ski, gants de ski, knickers, chaussettes de laine avec des guêtres, des sur-chaussures, eau gelée dans les gourdes, barres de Mars tellement gelées qu’il est impossible de les casser avec les dents, cagoule qu’on m’a prêtée qui sent l’assouplissant et me donne la nausée. On ne peut pas dire que je nage dans le bonheur, mais je suis motivée « grave » et à part enguirlander mon binôme qui marche trop vite pour mon goût et tire sur la corde comme si j’étais son chien, je fais bonne figure jusqu’au bout.

En détails : la traversée du couloir aujourd’hui appelé « couloir de la mort », maintenant équipé d’une corde fixe, se fait sans encombre car nous sommes montés le plus tôt possible, et les pierres sont encore collées au sol. En plus, il y a encore beaucoup de neige, ce qui permet un passage plus « facile », enfin disons moins dangereux.

La suite se fait en terrain mixte et j’ai trouvé un cristal de roche 50m sous le refuge, sans doute perdu par quelqu’un. Du coup, je me dis que j’ai raison d’y croire que c’est un signe, celui de la victoire 😉 et ça me galvanise 😉

La nuit est difficile pour Bernard et Dominique, nous sommes dans l’annexe du refuge, un baraquement de planches disjointes par lesquelles s’engouffre le vent toute la nuit. Nous avons mis les chaussures dans les duvets pour ne pas les retrouver gelées au petit matin. Pour ma part, j’ai dormi comme un bébé :-), mais je dors n’importe où. Le réveil à 3h est assez difficile car il faut sortir dans le froid pour aller déjeuner dans la partie principale où dorment des dizaines de personnes, sur les tables, sur les bancs, sous les tables, partout nous enjambons des corps endormis et à 3h du mat’ ça caille bien 😀

Pour les besoins naturels, direction une cahute en planches perchée sur un ponton. Les excréments tombent directement 20m plus bas par un trou, sur la paroi sous nos fesses. Question écologie, ce n’est pas le top, mais lors de la construction il n’y a pas tellement de monde qui y monte et l’impact est encore moindre.

Nous partons vers 3h30 à moitié somnolents et faisons une petite halte au Vallot où nous nous cassons les dents sur nos barres Mars gelées, il fait encore nuit et quelques grimpeurs devant nous forment une jolie guirlande de frontales. Nous espérons arriver au sommet pour assister au lever du jour.

Déjà, certains devant nous abandonnent et font demi-tour, le regard tourné vers leur déception et je me dis « pourvu que ça ne nous arrive pas » en pensant à Emmanuel pour qui c’est « cette fois ou pas » comme il nous a dit les larmes aux yeux, au souvenir de cet échec dû à un compagnon de cordée qui a souffert de l’altitude. Nous l’avons décidé, nous y arriverons tous, ou personne, c’est la solidarité montagnarde. Du coup, nous balayons l’idée d’être celui ou celle qui sera responsable de l’échec du groupe.

Nous passons l’arrête des Bosses où nous croisons (difficilement) des gars qui font demi-tour, ne pouvant pas aller plus loin et tellement concentrés sur leur déroute, qu’il ne nous voient même pas et il ne leur vient pas à l’idée de nous laisser passer avant de redescendre, en cet endroit assez délicat. Enfin, bon, nous nous croisons 🙂

Et nous voilà au sommet ! Si, si, tous les 5 ! Sans la moindre défaillance physique, mais en plus ou moins bon état … psychique 😀

J’ai froid gla-gla, le cerveau gelé m’empêche d’apprécier le paysage à sa juste valeur :-D, et puis, pour moi, nous sommes trop haut, ça gâche un peu le plaisir des yeux que j’éprouve toujours, lorsque je suis entourée de sommets de même altitude ou plus hauts que celui sur lequel je me trouve. Oui, c’est beau, mais franchement j’ai plus aimé la vue depuis l’Aiguille du Plan, du pied des Jorasses ou encore du haut du Grand Paradis ou encore de la Grande Casse que j’ai gravis plus tard et question technique, j’en ai connu de bien plus ardus.

C’est ce que j’appelle une bavante, quoi.

Cela n’enlève rien au fait que l’effort qu’est la montée de +1000m au-dessus de 4000m reste une jolie performance et un effort physique certain, bien que l’on reste toujours sur ses deux pieds, surtout si on sait qu’à 4000m sous nos contrées, on rencontre les mêmes conditions climatiques qu’à 6000 en Amérique du Sud ou au Népal et même un peu plus rudes.

Sinon, Bernard a une grosse migraine qui le rend grognon, peut-être un début de mal des montagnes, Emmanuel est en transe transcendantale 🙂 face à sa réussite, Eric, en bon jeune cadre dynamique ne pense qu’à se faire photographier avec une pub de son entreprise pour le « book interne » de l’entreprise où il se fera mousser de son exploit, Dominique fait une fixation sur son appareil photo qui n’aime pas le froid et peine à faire les photos malgré les piles lithium qu’il a achetées la peau des fesses et moi, je suis comme déçue de ne rien voir autour, tout est au-dessous, alors, certes, c’est beau, mais pas plus que d’autres endroits et en plus, j’ai froid et je me demande en quoi arriver ici est un « exploit ».

Je crois que le fait d’être tous allés au bout est ce qui nous a procuré la plus grande de joie. A moi, en tous cas, car j’avais peur de la défaillance de l’un d’entre nous, qui m’aurait démoralisée et peut-être nous aurait contraints à faire demi-tour avec lui.

L’apothéose de cette virée sur le faîte de l’Europe, est que nous confions l’appareil photo à un Italien pour qu’il nous fasse une belle photo du sommet, mais si vous la voyiez, vous rigoleriez un moment. Elle pourrait tout aussi bien être prise sur la Dune du Pyla, on ne voit ni nos pieds, ni le paysage, juste nous, enfin, nos yeux derrière nos cagoules de casseurs parisiens, mais on voit très bien que le ciel était bleu 😁

Par contre, j’ai a-do-ré la descente, le ciel est bleu, le vent s’est bien calmé et j’en prends plein les yeux. Finalement, c’est la montée avant le lever du jour qui rend la course monotone. Je rêve de revenir avec des skis pour slalomer sur la belle pente jusqu’au Goûter, ce doit être un régal. Nous faisons attention, toutefois, car nous savons tous que plus de 70% des accidents se produisent à la descente à cause du relâchement provoqué par l’atteinte de l’objectif. Par contre, le passage du couloir de la Mort se fait avec la chaleur et nous laissons dégouliner quelques rochers, pour passer les uns après les autres en serrant les fesses, presque sur la pointe des pieds mais rapidement quand même, pour ne pas s’attirer les foudres de la montagne.

Après cette expérience enrichissante à tous points de vues, je décide d’investir dans du bon matos. « Plus jamais ça » je me dis 😁😁 et je me ruine pendant des mois pour acheter des vêtements qui tiennent la route et remplacer mon anorak en plume et en tissu épais qui pèse plus de 3kg 😘

Cette belle expérience m’a aussi ouvert la porte vers les hauts sommets que j’ai ensuite pas mal fréquentés pendant quelques vacances, jusqu’à ce que je décide d’en rester au pyrénéisme seul, vers les années 1995, après la flambée du tourisme montagnard et une déconvenue avec un touriste, dans un camping de Pralognan la Vanoise, qui nous a fait écourter notre séjour alpin pour nous rapatrier à Auzat dans l’Ariège, dans la nuit qui a suivi, mais c’est une autre histoire 😀

Non, décidément, je ne peux pas les jeter, mes vieux compères Gore-Polaire, même s’ils sont à la retraite depuis longtemps, ils m’ont trop bien servie quand j’en avais besoin et puis ils ont fait plus de 120 sommets de 3000 dans les Pyrénées, une bonne trentaine ailleurs, une belle poignée de 4000 et je ne parlerais pas des milliers d’autres sorties que nous avons faites ensemble 😄

Je les aime d’amour 😍😍

Photos un peu mélangées, issues du scan de quelques diapositives de l’époque.